Les Pennes/Septèmes aux XVIIe et XVIIIe siècles: un territoire frontalier aux portes de Marseille?

Par Anthony SUBI, titulaire d’un Master 2 recherches en sciences historiques sous la direction de Gilbert BUTI.
Sous l’Ancien Régime, Marseille souffrait de ce que Charles Carrière a nommé un « complexe d’insularité ». La cité, tournée vers la mer et séparée de la Provence intérieure par sa barrière de hautes collines paraissait détachée de son arrière-pays le plus immédiat. Cette séparation se lisait également au niveau politique et juridique depuis les Chapitres de Paix de 1257, qui lui octroyèrent des privilèges importants au sein du comté de Provence, puis du Royaume de France. L’« isolement » fut encore accentué quand, en 1669, Colbert en fit un port-franc, seul habilité à commercer avec le Levant.

En réalité, Marseille n’était en rien isolée du reste du royaume. Hommes comme marchandises voyageaient quotidiennement sur les routes connectant la cité aux diverses provinces de France. La route du nord en particulier, reliant Marseille à Aix, Lyon, Paris et le Languedoc, avait un rôle fondamental dans ces circulations comme dans l’approvisionnement de la ville. Or son débouché, engoncé entre les collines de l’Estaque et le massif de l’Étoile, n’était pas dominé par Marseille, mais par une localité indépendante : celle des Pennes/Septèmes. Le contrôle de cette unique voie decommunication, éminemment stratégique, fit en conséquence l’objet d’une âpre lutte, Marseille tentant plusieurs siècles durant de se faire reconnaître la possession de ces collines et vallées
septentrionales.

La situation de cette communauté face à l’apparente « insularité » de la cité phocéenne invite donc à interroger l’aspect « frontalier » de la zone : il est en effet apparu au fil de la documentation que, si cette frontière était très marquée au niveau juridique, elle ne correspondait à aucune réalité dans la pratique des populations. Marseillais et Pennois paraissaient ainsi évoluer au sein d’un unique « bassin de vie» et les échanges, permis par la pratique légale ou la fraude, n’apparaissaient pas
entravés par cette limite juridique.

Pour autant, cette absence de contrainte liée à la frontière ne signifie aucunement son inexistence. La documentation concernant les litiges à son propos – notamment dans son tracé, seulement fixé par ordre du roi en 1728, et encore discuté après cette date – montre bien que sa présence a permis l’émergence de pratiques spécifiques pour les populations riveraines : la contrebande d’abord, classique pour notre période ; mais aussi des marques d’appropriations bien plus originales : la multiplication des procès contestant son tracé, visant à profiter des privilèges fiscaux et commerciaux marseillais tout en se dédouanant des charges de la cité du fait de l’appartenance pennoise de ces territoires, en reste le meilleur exemple. Surtout, ce qui montre la tangibilité de cette frontière, c’est son appropriation par tous les pans de la société du temps : quel que soit le statut ou la richesse, paysans, seigneurs, officiers, muletiers, échevins, tous ont élaboré des
stratégies visant à exploiter les singularités de cet espace.
Finalement, il apparaît que ce qui n’était à l’origine qu’une « zone de l’entre-deux » entre Marseille et le reste de la Provence a au cours des siècles contribué à produire un territoire dont la structure et l’identité se retrouvent encore aujourd’hui dans l’organisation des espaces du nord de la cité
phocéenne.

Afin d’appréhender ces logiques, relevant de pratiques difficilement perceptibles dans la documentation, nous avons opté pour une analyse territoriale. Celle-ci visait à comprendre l’organisation socio-spatiale de ce territoire, ainsi que ses interactions avec le terroir marseillais comme la Provence intérieure. Notre étude est de ce fait fondée sur un corpus diversifié rassemblant trois catégories de documents : les sources locales, permettant de mieux connaître le
fonctionnement de l’espace concerné ; les rapports administratifs et commerciaux, pour mesurer son rôle et son intégration à différentes échelles ; les sources judiciaires, qui mettent au jour les rapports
de conflictualité, de coopération et de concurrence entre Les Pennes/Septèmes et son puissan tvoisin.

À partir de l’analyse de ce corpus, notre intervention s’est donc organisée en trois temps : une étude de la communauté des Pennes/Septèmes à l’orée du XVIIIe siècle ; une analyse des contraintes frontalières dans les rapports entre Marseille et son arrière-pays ; la mise en évidence des pratiques locales visant à faire fructifier cette frontière si singulière.